Education & Formation

L'art d'enseigner

Bruno De Lièvre
Université de Mons

« Car l'Art, c'est la vie, mais sur un autre rythme. »
Muriel Barbery (L'élégance du hérisson)

Nous vivons une époque étonnante : alors que les individus sont de plus en plus convaincus qu'il faut développer des attitudes respectueuses de l'environnement, les agriculteurs leur font prendre conscience que le travail de la terre ne leur assure pas de quoi subvenir décemment à leur quotidien.

A peu près au même moment, l'éducation est mise, dans les discours, au coeur des préoccupations politiques mais les enseignants sont déjà prêts à descendre dans les rues parce qu'ils se sentent déconsidérés par les (futures) décisions d'austérité dont ils risquent d'être les victimes consentantes. Car même mécontents, les enseignants, ils ne chahutent pas trop, ce n'est pas dans leur culture. Ils sont trop bien éduqués pour ça. Ils doivent montrer l'exemple, c'est bien connu...

Ces paradoxes quotidiens sont déstabilisants voire parfois choquants ou révoltants. Cependant, nous pouvons constater que les métiers d'agriculteurs et d'enseignants font partie de ceux qui traversent les siècles. Il doit il y avoir une raison à cette persistance. Il doit bien il y avoir des qualités qui leur assurent cette résistance.

Certaines de ces qualités peuvent transparaître dans ce numéro e-291 : il y a cet ancrage dans la réalité, dans le quotidien, dans une manière d'appréhender le monde qui lui donne du sens. Les deux premiers textes mettent en avant l'importance de la relation forte entre l'apprentissage et la sphère artistique au travers de projets de formation culturelle qui associent d'une part artistes et enseignants (Héloïse Côté - Université de Montréal) et, d'autre part, étudiants et dispositifs d'autoformation dans le domaine de l'histoire de l'art (Emmanuelle Druart, Laurent Verslype & Pascale Corten-Galtieri - Université catholique de Louvain). Il est fait état de diversité des pratiques dans ce domaine mais aussi de leur richesse dans le cas du premier texte alors que le deuxième est centré sur l'accompagnement qui peut être assuré de projets de ce type à l'aide des technologies de l'information et de la communication sous la forme d'un « e-portfolio ».

L'usage de outils modernes fait aussi partie des qualités que possèdent les enseignants comme en atteste la contribution de Franklin Kimbimbi et Martine Willekens (Université Libre de Bruxelles et Haute Ecole Francisco Ferrer) qui décrit une expérience de collaboration à la mise en place d'un dispositif de formation à distance. Les auteurs mettent en avant cette exigence de réflexion rigoureuse qui conduit à une qualité de la formation comme l'atteste leur évaluation auprès des utilisateurs.

La capacité à introduire les innovations dans un contexte pédagogique ne peut être dissociée de la nécessité de les remettre en question si nécessaire suite à une évaluation rigoureuse. Sandra Safourcade (Université de Toulouse le Mirail) montre de quelle manière des enseignants analysent leur pratique de la mise en œuvre d'une pédagogie qui développe une approche par compétences. La remise en question au travers d'une démarche rigoureuse de réflexivité peut être associée aux enseignants de qualité. Ces qualités leur permettent de travailler dans la durée.

Pour être durable, on ne peut pas bâtir sur du sable. Il faut d'abord stabiliser les fondations et cela prend du temps : celui de réfléchir, celui d'expérimenter, celui de pratiquer, celui de se pencher sur sa pratique. Prendre du temps ne veut pas non plus dire être « hors du temps » : l'intégration des technologies modernes montrent que les enseignants sont attentifs à être en phase avec leur époque. S'ils sont parfois déçus de la manière dont ils sont considérés, les enseignants savent que demain, comme les agriculteurs, ils seront encore là, car ils assurent les fondements de la société à un rythme qui leur permet de faire de ce métier un art, celui d'enseigner. Et ils peuvent en être fiers.

Pour la Revue Education-Formation,
Bruno De Lièvre